VIII

La cabine de Li-Chui-Shan, à bord de la jonque Montagne de Fortune, offrait un décor de Mille et une Nuits avec ses tentures de riches soies, ses meubles incrustés d’ivoire et de nacre, ses somptueux divans. Quand Boris Lemontov alias Aloïus Lensky – y avait pénétré à la suite du Chinois, il n’avait guère été surpris par ce luxe, car l’endroit lui avait jadis été familier. Le pirate avait désigné un fauteuil à son ancien associé ; celui-ci, sans se faire prier, s’était assis aussitôt. Li-Chui-Shan prit place en face de lui, dans un autre fauteuil et, après avoir jeté un rapide coup d’œil au garde qui, armé de sa mitraillette, se tenait debout à l’entrée de la cabine, demanda à l’adresse du Russe :

— Alors, cher ami ? dit-il dans un anglais presque correct. Je serais heureux d’entendre votre histoire.

Lemontov ne répondit pas tout de suite. Il savait le Chinois rusé et, pour le convaincre, il lui faudrait jouer serré.

— Quand, après m’être échappé du bagne, je parvins à Hong Kong, commença-t-il enfin, j’appris par la presse et la rumeur publique que tu avais repris ta fructueuse carrière. Aussitôt, je n’eus plus qu’une idée : te rejoindre sans retard pour, à nouveau, courir les mers en ta compagnie. Mais comment te contacter ? Je voulus me renseigner auprès de Jessu Wang, notre complice à Hong Kong, mais celui-ci était mort, et je ne pus parvenir à découvrir qui avait pris sa place. D’autre part, je ne pouvais me rendre à Canton, à Shanghai ou à Pékin, pour y rencontrer d’autres de nos anciens complices, car en territoire chinois, je courais sans cesse le risque d’être arrêté ; au contraire, tant que je demeurais en zone britannique, je jouissais d’une sécurité relative. Je décidai alors de gagner l’archipel afin de t’y retrouver. Mais, pour cela, il me fallait de l’argent et un bateau. Je mc souvins alors de cette dent de dragon subtilisée jadis dans le temple des Mongols, sur l’île située à l’est dc l’archipel. Cette dent, je l’avais laissée en dépôt chez un ami russe, à Hong Kong même, et je n’eus aucun mal à la récupérer. Je me procurai alors de faux papiers au nom d’Aloïus Lensky, citoyen américain, et gagnai Seattle où, comme je l’avais appris, se trouvait ancré le yacht du célèbre professeur Frost. Depuis de nombreuses années déjà, celui-ci était sur les traces du Serpent de Mer. Je lui montrai la dent de dragon et, aussitôt, il décida de gagner l’archipel, pour tenter d’en ramener le grand squelette adoré par les Mongols. Je réussis si bien à gagner la confiance du professeur qu’il s’en remit à moi pour le recrutement d’un équipage, et je choisis celui-ci de façon à ce qu’il me soit tout dévoué. Une fois passé le détroit de Behring, je n’eus aucune peine à me rendre maître du yacht. C’est alors que la Montagne de Fortune est intervenue.

À travers les deux étroites fentes des paupières, les yeux noirs de Li-Chui-Shan brillaient comme des morceaux de verre sombre.

— Qui te dit, mon cher ami, interrogea-t-il, que je veuille renouer nos anciennes relations ?

Lemontov eut un sourire rusé.

— L’union fait la force, dit-il. En outre, je t’apporte un yacht fin et racé, bon marcheur, et qui remplacera avantageusement cette vieille jonque à coque de bois.

Mais Shan secoua la tête.

— Non, dit-il, je ne changerais pas la Montagne de Fortune, même contre un torpilleur, tu devrais le savoir. Son apparence vétuste n’éveille pas l’attention quand elle circule entre les îles des mers chinoises ou de Java. En outre, si elle est prise en chasse, la jonque, grâce à sa légèreté relative et à ses puissantes machines, distance aisément ses poursuivants surpris. Quant à sa coque·de bois, si jamais un obus la perce, elle est plus aisément et plus rapidement réparable qu’une coque de métal. Voilà pourquoi je tiens à ce point à la Montagne de Fortune.

— Je te comprends, Shan, dit le Russe, mais deux bateaux valent mieux qu’un seul. Ensemble, la Montagne de Fortune et le Mégophias, dont nous changerons le nom, pourront accomplir de grandes choses.

— As-tu pensé, ami Boris, que la disparition du yacht sera signalée ? On doit savoir dans quelle direction il s’est dirigé et des recherches seront effectuées. Cela risquerait d’attirer dangereusement l’attention sur notre repaire.

— J’ai songé à cela, Shan. À bord du Mégophias, j’ai deux prisonniers, le professeur Frost lui-même et un Français du nom de Bob Morane. Tous deux se sont retranchés dans une cabine. La faim ne tardera guère à les en faire sortir. Alors nous nous emparerons d’eux et, par la torture s’il le faut, nous obligerons le professeur à écrire dans un carnet, sous forme de journal, le récit de la perte du Mégophias dans un naufrage. Ensuite, nous laisserons nos deux prisonniers mourir de faim et irons abandonner leurs corps non loin des côtes d’Alaska, dans un des canots du yacht. Ils ne tarderont pas à être découverts par des pêcheurs. Dans les vêtements du professeur, on trouvera ce carnet dans lequel il aura, de sa main, décrit le naufrage, puis la longue agonie, par la faim et par la soif, de son compagnon et de lui-même. Ainsi, les autorités, persuadées que le Mégophias a été englouti avec tout son équipage, n’entreprendront aucune recherche, et nous serons tranquilles et puissants.

Un tel plan, à la fois cruel et machiavélique, devait plaire à Li-Chui-Shan. Il tendit une main jaune, épaisse et potelée, à Lemontov en disant :

— Tu m’as convaincu. Bientôt, nos deux vaisseaux courront les mers ensemble et, unis comme par le passé, nous amasserons des fortunes.

« Parle toujours », songeait le Russe en serrant la main du Chinois. Jadis, tu m’as laissé condamner et je ne tarderai pas à avoir ma revanche. Quand j’aurais mis la main sur ce que je désire, Li-Chui-Shan, tes jours seront comptés.

Mais, malgré toute sa perspicacité, le Chinois ne pouvait lire dans les pensées de son interlocuteur.

— Ne crains-tu pas, demanda-t-il, que tes prisonniers ne s’échappent ? J’ai placé seulement deux hommes à bord du yacht.

Lemontov sursauta, comme saisi par une brusque crainte. Puis il se détendit.

— Si le professeur Frost et Morane s’échappaient, fit-il, ils ne pourraient aller bien loin. Lorsque je me suis emparé du yacht, j’ai pris soin, pour prévenir toute fuite, de faire vider les réservoirs des canots à moteur. Mieux vaudrait cependant aller voir ce que mes captifs deviennent. Ils nous sont trop précieux, et je ne veux guère courir inutilement le risque de les perdre.

 

 

La Montagne de Fortune et le Mégophias devaient être loin maintenant. Bob rentra les avirons, souleva le capot et entreprit de mettre le moteur en marche. En vain. Il s’entêta, mais sans plus de succès. Finalement, il alluma la torche électrique et vérifia le niveau de l’essence. Aussitôt, il poussa un cri de dépit, presque de désespoir.

— Vide ! Le réservoir est vide.

Le professeur Frost, qui se trouvait à l’avant de l’embarcation, sursauta.

— Vide ? fit-il. C’est impossible. Selon mes ordres, les canots devaient toujours être prêts à prendre la mer.

— Voyez donc vous-même, professeur.

Le savant s’approcha et dut se rendre aussitôt à l’évidence. Le réservoir ne contenait pas une seule goutte d’essence.

— Je ne comprends pas, fit-il, comme écrasé par ce nouveau coup du sort. Je ne comprends pas.

— Ce sera là encore un tour de ce satané Lensky… je veux dire Lemontov, maugréa Bob avec colère.

Il se tut pendant un moment, comme pour laisser passer sa mauvaise humeur, puis il reprit :

— Pourvu que le coffre ne soit pas vide lui-aussi. Mais, cette fois, ses craintes se révélèrent vaines. Le coffre contenait de l’eau, des vivres séchés, des vêtements chauds et divers objets de première nécessité pour un naufragé, comme les dignes et une boussole. Cette constatation rasséréna un peu Morane.

— Il nous reste à faire contre mauvaise fortune bon cœur, dit-il. Nous allons ramer à tour de rôle en tentant de garder le cap sur le sud-est, c’est-à-dire approximativement en direction des côtes de l’Alaska.

— Si nous voulons atteindre ces côtes à la rame, fit remarquer le professeur Frost, il nous faudra un certain temps.

— Nous n’avons guère le choix, professeur. Nous avons de l’eau, des vivres et des vêtements chauds. En ménageant nos forces, nous pourrons parvenir à nous en tirer.

— Le Ciel vous entende, Bob, et qu’il fasse en sorte que Lemontov et Li-Chui-Shan ne s’aperçoivent pas trop vite de notre disparition.

Comme il faisait un froid polaire, les deux hommes revêtirent des pelisses et se chaussèrent de bottes fourrées trouvées dans le coffre. Ensuite, Morane reprit les avirons et se mit à ramer lentement mais régulièrement, pour économiser ses forces.

Durant toute la nuit, les deux hommes ramèrent ainsi, se relayant d’heure en heure. La fatigue les saisissait lentement et, malgré leurs vêtements épais, le froid les engourdissait. C’était une lutte désespérée que Morane et Frost livraient là. Une lutte contre la solitude, le froid, le temps, l’espace et le désespoir, toutes ces forces cruelles se liguant à la fois contre eux pour les vaincre.

Aux abords de l’aube, Morane, qui se trouvait en repos, eut soudain l’attention attirée par un lointain ronronnement de moteur.

— Cessez de ramer, professeur, souffla-t-il.

Le paléontologiste obéit et, bientôt, le ronronnement se précisa, gagnant toujours plus d’amplitude. Finalement, quand il fut tout proche, une grande ombre se découpa au-dessus des flots ; l’ombre d’un vaisseau dont les voiles à la chinoise faisaient songer aux ailes de quelque monstrueux chiroptère.

— La jonque, murmura Bob. On nous cherche.

C’était bien la Montagne de Fortune, en effet, lancée à la poursuite des fugitifs. Et, tout à coup, le faisceau d’un projecteur fouilla les ténèbres, venant poser une large tache lumineuse sur la surface de la mer. S’il accrochait le canot au passage, c’en était fait de Morane et de son compagnon. Leur fuite manquée, ils retomberaient aux mains de Lemontov. Quel serait leur sort en cette circonstance ? Ils préféraient ne pas chercher de réponse à cette question.

Le faisceau lumineux passa à proximité du canot, mais sans l’atteindre, et déjà la jonque s’était éloignée, se fondant dans la nuit. Là-bas, le projecteur continuait à fouiller, inlassablement, une mer vide.

Bob Morane poussa un soupir de soulagement. – Nous l’avons échappé belle, dit-il.

La chance allait-elle continuer ainsi à les servir ? Bob se le demandait avec inquiétude. Cependant, pour l’instant, il leur fallait seulement espérer que la jonque se soit définitivement éloignée, et ramer, ramer, ramer toujours pour tenter d’arriver quelque part.

 

 

Quand l’aube se leva, Morane et Frost, épuisés d’avoir ramé toute la nuit, devaient faire une terrible constatation. Au lieu d’avancer en direction du sud-est, c’est-à-dire vers les côtes de l’Alaska, ils dérivaient au contraire vers le nord, entraînés par un courant puissant. Se remettant aux avirons, ils tentèrent, de toute la vigueur de leurs bras, de se soustraire à cette dangereuse emprise, mais en vain ; le courant se révéla le plus fort.

Exténués, les deux hommes lâchèrent les avirons, s’avouant vaincus. Sous leurs pelisses, tous deux étaient en nage, et ils se sentaient incapables de continuer la lutte.

— Nous n’y parviendrons pas, dit Bob. Ah, si seulement nous avions de l’essence, mais pas la moindre goutte ! Et aucune chance non plus d’être recueillis par un bateau.

— Sauf par la Montagne de Fortune, bien sûr, fit Frost à son tour.

Morane ne répondit pas immédiatement.

— Comme, de toute façon, nous ne pouvons rien faire, professeur, fit-il au bout d’un moment, mieux vaut prendre notre mal en patience et espérer. Mangeons, cela nous aidera à tuer le temps.

Quand ils se furent restaurés, le savant fit une étrange constatation.

— La température semble s’adoucir, ne trouvez-vous pas, Bob ? Pourtant, nous dérivons toujours en direction nord.

Bob consulta à nouveau la boussole. Le courant entraînait toujours bien, en effet, l’embarcation vers le nord. Malgré cela, Bob devait l’avouer lui-même, la température était nettement devenue plus clémente, presque tempérée. Il leva la tête vers le ciel, mais aucun rayon de soleil ne perçait encore les nuages.

Plusieurs heures s’écoulèrent. La température continuait toujours, aussi inexplicablement, à s’élever, à tel point que les deux hommes durent bientôt se dépouiller de leurs pelisses.

Vers le début de l’après-midi, comme le professeur Frost dormait au fond de l’embarcation, une sorte de ronflement attira l’attention de Morane. Celui-ci regarda autour de lui, mais un brouillard épais, tiède et jaunâtre entourait à présent l’embarcation, telle une impénétrable purée de pois. Cependant, le ronflement continuait à se faire entendre. Morane prêta à nouveau l’oreille et se rendit compte que ce n’était pas un ronflement seulement qu’il entendait, mais plusieurs, venant de directions différentes. À présent, la température devenait de plus en plus chaude. Bob passa le bras par-dessus le bordage et plongea la main dans l’eau. Il en évalua la température à vingt-cinq degrés environ, soit celle de la Méditerranée en plein été.

Une fois encore, par acquis de conscience, il consulta la boussole, mais celle-ci continuait à indiquer le nord.

— Quand même, murmura-t-il, si cette fichue boussole était détraquée, ce ne serait pas en quelques heures que ce courant aurait pu nous mener sous les tropiques.

Déjà, il ne tentait plus de comprendre. Le professeur Frost s’était réveillé et avait, lui aussi, entendu les ronflements.

— Qu’est-ce que c’est ? interrogea-t-il ? Morane eut un geste vague.

— Je voudrais bien le savoir, fit-il. Ce satané courant continue à nous entraîner vers le nord, et l’eau de l’océan devient cependant de plus en plus chaude.

— Peut-être traversons-nous une zone de sources sous-marines, tenta d’expliquer le paléontologiste. Des sources chaudes qui, mêlant leurs eaux à celles de la mer, tempèrent celles-ci. Ces ronflements sont sans doute produits par le bouillonnement des sources en question.

À présent, les rayons du soleil perçaient le brouillard, et les deux naufragés volontaires pouvaient y voir plus nettement. De seconde en seconde, les grondements devenaient plus violents et, soudain, devant eux, Morane et Frost aperçurent une énorme silhouette blanche, sorte de gigantesque colonne mouvante sortant de l’océan et dont le sommet se perdait dans le brouillard.

— Une trombe, fit Morane. Mais le savant secoua la tête.

— Non, dit-il, si c’était une trombe, elle se déplacerait.

Au contraire, notre colonne demeure immobile. Sans doute s’agit-il là d’un geyser. Un geyser d’eau bouillante. La mer doit être peu profonde ici, pour qu’il puisse ainsi jaillir au-dehors.

— Un geyser d’eau bouillante ! s’exclama Bob. Et le courant nous mène droit dans sa direction… Il faut réussir à nous en écarter aussitôt, sinon nous sommes cuits !

Sans ajouter une seule parole, les deux hommes se précipitèrent aux avirons et, à pleins bras, se mirent à souquer ferme, pour tenter d’éloigner l’embarcation du geyser. Ce fut un rude combat. Couverts de transpiration et de vapeur condensée, Bob et le savant luttaient dans une atmosphère humide de forêt vierge en pleine saison des pluies. Finalement, ils réussirent à échapper à l’étreinte des remous. En passant à proximité du geyser, ils tendirent en hâte la bâche destinée, en cas de pluie ou de tempête, à former une sorte de toit au-dessus du canot afin d’éviter que celui-ci n’embarque de l’eau. L’averse bouillante du geyser crépita pendant un long moment sur la toile épaisse, sans la protection de laquelle les deux hommes auraient été, à coup sûr, brûlés gravement.

Déjà, ils avaient dépassé le geyser, mais d’autres geysers, tout semblables, érigeaient devant eux, à gauche, à droite, leurs fûts mouvants, d’un blanc bleuté. Bob et Frost avaient l’impression d’avancer dans un temple fantastique dont les piliers se seraient perdus dans les nuages. Des nuages bas, formés par la vapeur d’eau et soudés entre eux pour former plafond. À cela, il fallait ajouter cette touffeur de serre, moite, débilitante, à travers laquelle il ne fallait cesser de ramer, sous peine d’être entraîné vers l’une des sources bouillonnantes.

Pendant combien de temps cette lutte forcenée contre des forces naturelles déchaînées dura-t-elle ? Une heure ? Deux heures ? Ni Morane, ni Frost n’auraient pu le dire. Quand ils atteignirent enfin l’eau calme, ils étaient exténués. La température demeurait chaude, mais elle s’était malgré tout un peu atténuée et le brouillard s’était en grande partie dissipé.

Devant le canot, quelques îles rocheuses, disposées en arc de cercle, se découpaient au loin, masses brunâtres sur l’étendue grise de la mer.

Malgré cette apparition, Morane et Frost, à bout de forces, demeuraient immobiles et muets sur leurs bancs. Alors, tout se passa comme dans une féerie, ou dans un cauchemar. À quelques centaines de mètres en avant de l’embarcation, l’eau se souleva en une énorme vague et une longue silhouette serpentiforme fendit l’onde. Une sorte de gigantesque crocodile aux écailles couleur vert-de-gris, et dont les pattes auraient été remplacées par quatre palmes nageoires. De la tête à l’extrémité de la queue, une crête dorsale s’allongeait, faisant songer, avec ses épines, à quelque peigne monstrueux. La tête elle-même, plus volumineuse que celle d’un grand cachalot, était celle d’un saurien, et les yeux devaient avoir au moins la grosseur d’une tête humaine. La gueule, capable d’engloutir le canot et ses deux occupants, s’ouvrait parfois sur une double et prodigieuse herse de dents.

— Le Serpent de Mer, murmura Morane.

— Oui, fit Frost, le Serpent de Mer. Ou mieux, le Grand Mosasaure, mais un Mosasaure gigantesque. Regardez, il mesure au moins soixante mètres de la pointe du museau à celle de la queue.

Le monstrueux animal ne semblait cependant pas se soucier du frêle canot. Il nageait droit devant lui, en ondulant légèrement du corps et en laissant à sa suite un sillage d’écume. Finalement, il plongea et disparut de la même façon qu’il venait d’apparaître.

Mû soudain par une sorte de ferveur, le professeur Frost se dressa dans le canot, levant les bras au ciel.

— Le Mosasaure géant, cria-t-il. Lemontov n’avait pas menti. Nous avons vu le Mosasaure géant. C’est la gloire. La gloire !

Très lentement, le paléontologiste se calma. Il se tourna vers Morane.

— Vous souvenez-vous que, lors de notre première rencontre, vous vous êtes demandé comment le Mosasaure, qui est un reptile, pouvait vivre à cette latitude presque polaire ?

— Je me souviens, en effet, fit Morane.

— Eh bien, tout s’explique à présent. Ces sources d’eau bouillante tiédissent l’océan autour de l’archipel, et le Mosasaure trouve ainsi la chaleur ambiante nécessaire à son existence d’animal à température variable.

Morane ne répondit pas. Encore sous l’influence du prodigieux spectacle auquel ils venaient d’assister, les deux hommes gardèrent le silence. Pour eux, tout avait cessé d’exister. Ils en avaient même oublié leur situation tragique, Boris Lemontov, Li-Chui-Shan et la Montagne de Fortune.

Le premier, Bob reprit contact avec la réalité.

— Il nous faut pourtant songer à notre sécurité, dit-il.

Plus tard, nous pourrons repenser à loisir au Mosasaure. Pour le moment, à mon avis, il serait sage de gagner une de ces îles. Une fois à terre, nous prendrons une décision quelconque.

Le professeur Frost releva un visage hagard, comme s’il sortait d’un long rêve.

— Vous avez raison, Bob, dit-il enfin. Il nous faut gagner la terre avant la tombée de la nuit.

Silencieusement, les deux hommes reprirent les avirons et se mirent à ramer en direction de l’île la plus proche.

 

La Croisière du Mégophias
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